Par Alain de Broca, médecin, philosophe
et Eugénie Poret, anthropologue
Cosigné par :
Didier Sicard, médecin
Brigitte Herisson, infirmière
Brigitte Herisson, infirmière
Gérard Ostermann, médecin
Jean-François Gomez, éducateur
Charles Joussellin, médecin
Luc Monnin, médecin
Djamel Semani, médecin
Le Sommer-Pere, médecin
Regis Aubry, médecin
Maria Michel, infirmière
Gwenaelle Morainville Huet
Mado Florit, infirmière
Saul Karsz, sociologue
Christophe Pacific, infirmier, philosophie
Nicole Benoit, Bénévole Soins palliatifs
Anne Bourgeois, Vétérinaire
Florence Thiberghien – Chatelain, médecin
Fédou Bénédicte, Chirurgien-dentiste
Roger Desbetes,
Catherine Ollivet, Association France Alzheimer
- « Qui a le droit de me voler ma liberté ? »
- « Je suis prisonnier sans avoir commis aucun délit ? »
- « Qui respecte encore la charte des personnes âgées ?»
- « Pourquoi veulent –ils absolument m’empêcher de retrouver
- mon mari décédé depuis 25 ans ?»
- « Pourquoi avez-vous peur pour moi ? »
- « Pourquoi me laisse-t-on seule voire m’empêche-t-on de pouvoir être entourée de ceux que j’aime ? ».
Comment ne pas entendre les cris de ces personnes en institution (EHPAD-USLD) confinées, plus isolées encore qu’en maison d’arrêt durant les 3 mois.
Rappelons que, entre le 10 mars et le 10 mai 2020, aucune visite, aucune rencontre n’avaient été autorisées. Seuls des soignants masqués venaient subrepticement leur faire la toilette, apporter le repas, donner les médicaments mais personne pour les lever, leur couper la viande, les amener à une réunion. Plus de kinésithérapie, ni de psychomotricité, ni d’orthophonie pour empêcher la perte d’autonomie physique.
Depuis, le déconfinement, les ouvertures sont manifestes mais... comment comprendre que certaines institutions aient décrété qu’aucune sortie hors des murs de l’institution n’était possible sauf exception et avec pour sanction, un test PCR au retour (même si sortie pour un déjeuner en famille) et une réclusion dans la chambre sans aucune visite durant les 14 jours suivant.
On pourrait se demander pourquoi les soignants ne sont pas soumis aux mêmes règles à chaque retour de leur domicile.
Comment ne pas craindre pour des raisons similaires un retour à une réclusion digne d’un bagne d’un siècle révolu dans les semaines à venir au prétexte que l’épidémie est toujours présente?
Le confinement tel que celui-ci serait le seul moyen d’empêcher la mort ? Mais de quelle mort parle-t-on ici ? La mort sociale est–elle moins grave que la mort biologique ?
La fin justifierait-elle tous les moyens même les plus maltraitants ?
Souvenons-nous de nos prédécesseurs qui ont préféré la qualité de la relation à la quantité de jours à vivre. Socrate tout d’abord. Avec ce que nous a rapporté Platon, Socrate n’a pas choisi la cigüe pour mourir, mais plutôt que sa déportation et réclusion sur une ile avec interdiction de parler à la jeunesse. En osant la ciguë, il a montré sa volonté de vivre dans l’éternité pour être fidèle à sa vie, et continuer à travers sa fidélité à être en relation avec les jeunes qu’il avait accompagnés.
Comment ne pas relire Sophocle et Antigone. Cette dernière ayant préféré être fidèle à la relation avec son frère plutôt que de suivre aveuglément un protocole qui lui aurait fait perdre toute notion de dignité.
Comment ne pas penser aux résistants de toute guerre pour qui le besoin de relations en liberté vaut plus que le risque de perdre la vie.
Comment ne pas voir que les moines de Tibhirine qui n’ont pas jamais eu le désir de mourir, mais ont pris le choix de rester au milieu des hommes et femmes de ce pays qu’ils aimaient et ne pas abandonner au risque de mourir.
Comment ne pas voir certains soignants, notamment ceux de pays en guerre ou ceux face à des virus assurément mortels (Virus Ebola) qui osent la relation avec ceux qui souffrent au risque de mourir.
Combien d’autres témoignages de personnes qui ne désirent pas mourir mais qui n’hésitent pas à promouvoir les relations entre humains au risque d’attraper une maladie voire d’en mourir.
Tous ces témoignages ne montrent-ils pas que l’humain est avant tout un être né de la relation, vivant grâce aux relations et aura pour héritage les fruits des relations passées. Comment ne pas comprendre que mettre en réclusion est non seulement indigne mais aussi inhumain. De plus, les réponses hygiénistes qui voudraient faire croire que la réclusion est efficace pour faire peur au virus sont totalement infondées, comme le montrent les décès de personnes en institution par la transmission du virus par les soignants eux-mêmes !
« La pire des maltraitances est de croire qu’on est bienveillant» nous rappelait H Arendt. Pourquoi ne nous en souvenons-nous pas ! Souvenons-nous que la démocratie sanitaire a été faite pour que chaque citoyen puisse avoir son mot à dire.
Comment oser enfermer des personnes sans prendre leur avis ?
Où sont rangées les lois du 4 mars 2002 ou du 02 février 2016 sur les droits des malades et des personnes en fin de vie ?
Souvenons-nous de cette devise des soins palliatifs qui souligne encore et encore l’importance de la relation : puisque vivre c'est ajouter de la vie (qualité de relation) aux jours plutôt que de vouloir ajouter à tout prix des jours à la vie (quantité de jours).
La personne âgée en institution est accueillie pour son bien, afin d’être choyée et soignée et pas pour être parquée, recluse, ni infantilisée.
Quand la mort surviendra, qu’elle survienne chez une personne en paix, comme le fruit d’une passation entre les générations. La manière dont chaque famille aura su accompagner ses aïeuls, aidera chaque petit ou arrière-petits-enfants à puiser en eux la force de construire demain un monde où chacun sera respecté jusqu’au bout.
Enfin, comment ne pas terminer notre cri par ce merveilleux texte de G. Bachelard dans ce merveilleux livre Je et TU de M. Buber : « Le moi s’éveille par la grâce du toi.»
Osons construire une politique où l’amour dépasse les craintes.
L’histoire nous jugera non pas sur les peurs et les soumissions qu’on aura entraînées mais toujours sur la capacité à oser la relation et la cohésion sociale.